Wednesday, June 25, 2008

Construire la culture – Episode 1

La question de la culture au Maroc me préoccupe particulièrement. Les raisons en sont nombreuses, mais la plus importante est l’impact de la culture sur le développement personnel de l’individu et sa conduite civique dans la société.

Pourquoi sommes-nous un peuple si peu cultivé ? Plusieurs réponses se bousculent dans ma tête. J’en retiens trois : La lecture, les espaces culturels, et le cursus scolaire.

Chacun de ces aspects mérite une analyse soignée, je les aborderai donc séparément, bien que leurs rôles soient complémentaires. Je commencerai par les espaces culturels parce qu’ils sont les plus amusants.

Mais avant d’aller plus loin, imaginez ce dimanche après-midi. Par ce temps pluvieux, vous ne semblez pas avoir beaucoup de choix pour votre enfant de cinq ans qui vous tire par la manche et vous supplie de l’emmener dehors pour jouer. Vous faites défiler la liste des options réalisables et pas chères: jeux vidéos, dessin…l’envoyer dans sa chambre … désespéré, vous lui promettez quelque chose sans vraiment savoir ce que c’est. Soudain, vos yeux tombent sur ce journal d’hier où l’on publie en grande pompe l’ouverture officielle du premier centre de recréation scientifique pour les jeunes. Comment avez-vous pu oublier! En plus, l’entrée est gratuite aujourd’hui pour les enfants de moins de dix ans. Fantastique! Voilà le plan! Vous sautez tous deux dans la voiture et tracez à l’aventure. A l’entrée, vous vous étonnez à la vue de l’ordre impeccable qui règne dans les lieux. Vous tentez d’en créditer les agents de sécurité ici et là, mais vous préférez vous convaincre que vos concitoyens apprécient l’ordre et le respectent. A l’intérieur, vos yeux sont aussi ébahis que ceux de votre enfant. Le bâtiment est énorme avec des allées qui mènent vers différentes sections du musée. Vous suivez déjà votre enfant qui s’est dirigé vers cette salle immense où sont exposés les dinosaures, ou ce qu’il en reste. Sous les lumières basses, le décor semble réel. Ces monstres semblent raconter une existence… mais au fait, il suffit de lire sur les pancartes à côté pour la connaître, ou encore, mettre les écouteurs et appuyer sur ce bouton pour entendre toute l’histoire… Vous êtes fasciné. Vous passez d’une allée à l’autre avec votre enfant, des volcans à la croûte terrestre vers les mammifères, sans vous rendre compte des trois heures qui se sont déjà écoulées. Lorsque vous rentrez le soir à la maison, votre enfant est épuisé, heureux, et tout excité à l’idée de revisiter le musée la semaine prochaine. Vous pensez à votre budget, et décidez que rien ne vous est plus cher que de cultiver la passion du savoir en votre enfant. Au fond, vous remerciez ces investisseurs qui ont choisi de mettre leur argent dans des projets aussi nobles. Vous pensez aussi que ce musée constituera une cible touristique importante dans la région et encouragera des initiatives culturelles similaires… Vous souriez et pensez, voilà, en partie, comment l’on éduque une nation.

L’histoire se passe en 2012 à Casablanca. Le Musée Scientifique s’étend sur une superficie de 1000m2 et attire plus de 5 millions de visiteurs chaque année…

Elle rêve, vous dites-vous. Probablement. Et qui empêche aujourd’hui de construire des centres pareils, à part une volonté politique et des entrepreneurs au sens de l’éthique, sachant que de tels projets promettent des recettes financières respectables ? L’éducation ne passe pas toujours par l’école et les livres. La perception visuelle de l’information est une composante critique dans le processus d’apprentissage dans la mesure où elle supporte et complémente les informations théoriques reçues en classe. Le savoir n’est plus perçu comme un « fardeau » aussitôt qu’il est accompagné d’une histoire, de couleurs et de formes ; ce qui renforce l’envie d’apprendre toujours plus.

En contre partie, le manque cruel d’espaces de loisirs culturels dans notre pays est confronté par une poussée parasitaire des chaînes de télé au contenu effroyablement vide de valeurs éducatives et morales. Et l’on se retrouve brutalement dans ce cercle vicieux de chercher à remplir le vide par du vide…

Wednesday, June 18, 2008

Statistiques et M&M’s : une leçon en pédagogie

Qui parmi nous se rappelle du Théorème de la Limite Centrale (TLC)? Non, n’essayons pas de le Googler, je sais que si nous le faisons, nous arriverons sans doute à réveiller ces vieux souvenirs d’école. Mais là, d’emblée, quel était l’objectif de ce théorème, mieux encore, quels en sont des exemples d’application concrets dans notre vie de tous les jours ?

Certains seraient déjà entrain de se rouler les yeux… mais ce théorème est-il réellement important ? Si l’on décide d’ignorer l’importance incontournable du TLC dans les statistiques, une question reste tout de même de poids : Pourquoi, après de si longues années d’études acharnées, l’on ne se rappelle pratiquement pas de ces concepts basiques dont tout ingénieur et analyste devrait faire usage dans ses processus de prise de décision de tous les jours ? Qui faut-il blâmer ? Notre mémoire, notre système éducatif ?

La pédagogie d’enseignement est clé, à mon avis, dans la réponse à cette question. Je vous donne un exemple :

Il s’appelle Luca, il est professeur de probabilités et statistiques et doit trouver à chaque fois des moyens pour attirer continuellement l’attention de sa jeune audience d’étudiants.

Dans ce cours du lundi à 8 heures du matin, il a le challenge de leur expliquer le principe du TLC en 1 heure et demi. Après son habituelle anecdote du jour, il pose un paquet de M&M’s sur le rétro-projecteur et leur demande de deviner le nombre d’M&Ms de couleur rouge qui se trouvent dans le paquet. Pendant que les suggestions affluent, il jette dans la direction des étudiants le paquet qui tombe entre les mains chanceuses d’Ellen. Ellen va compter le nombre de chocolats rouges, mais en plus, elle pourra les manger après… tout le monde la regarde avec envie et curiosité… le chiffre est 8. Soudain, un autre paquet est jeté au hasard, maintenant, toute la rangée tend les mains pour l’attraper… le chiffre est 6. Aussitôt, Luca sort de derrière son bureau un grand carton plein d’M&Ms ; il y en a pour toute la classe ! Tout le monde s’empresse de compter le nombre d’M&Ms rouge dans son paquet et de reporter son chiffre sans savoir réellement le but de cet exercice sucré. Bientôt, Luca dresse une liste de tous les chiffres collectés, et construit une courbe dont les X représentent le nombre d’M&Ms possible dans chaque paquet (1,..,14), et dont les Y représentent le nombre d’étudiants qui ont trouvé ce chiffre (ceci représentera la fréquence de tel nombre d’M&Ms). Luca dessine la courbe correspondante, et hop ! C’est une distribution gaussienne parfaitement symétrique autour du nombre 7,5... Le TLC stipulera que le nombre moyen d’M&Ms rouges qui existent dans tous les paquets d’M&Ms dans le monde suit une distribution gaussienne de moyenne proche de 7,5 et d’ecart-type qui diminue en agrandissant la taille de l’échantillon.

Au test, les étudiants ont eu de bonnes notes, mais en plus, ils risquent fort de se rappeler du TLC grâce à ces bouts de chocolats multicolores.

Vous me diriez que les M&M’s coûtent cher au Maroc et que les écoles ne voudraient pas s’amuser à payer du chocolat aux étudiants. Je vous dirais que la créativité n’a pas toujours besoin de moyens financiers. Le professeur peut toujours innover pour transformer les concepts complexes en des notions plus simples dans un cadre tangible et amusant. Cela permet à l’élève de stocker l’information plus facilement tout en activant sa propre créativité dans le processus d’apprentissage et de remémoration des informations apprises. En outre, le professeur passionné réussit à faire apprécier la matière par ses étudiants, ce qui augmente leur curiosité aussi bien que leur taux de participation en classe.

Aujourd’hui dans nos établissements scolaires, plusieurs matières sont enseignées de manière quasi dépourvue de créativité et de renouveau. L’élève devient une gourde de données qui s’empresse de se vider aussitôt les délais critiques franchis (les examens en l’occurrence). Et l’on se demande pourquoi nous sommes classés si bas comparés à nos pays voisins, et pourquoi il y a crise dans l’éducation…